Des vents du Sud aux lumiĂšres du Nord : 2 ans pour relier la Patagonie Ă l'Alaska
- Ătudiante Vagabonde
- Oct 11, 2024
- 7 min read
Updated: Feb 21

SOMMAIRE
Octobre 2024
Lorsque j'ai pris le dĂ©part aprĂšs mes Ă©tudes, je nâavais pas vraiment de destination en tĂȘte. Juste une envie furieuse de prendre la route, de sentir le vent de la libertĂ© et de voir jusquâoĂč mes pas allaient me mener. Ce nâĂ©tait pas une fuite, mais plutĂŽt une quĂȘte : expĂ©rimenter la vie nomade et apprendre au fil des kilomĂštres ce que lâĂ©cole ne mâavait jamais enseignĂ©. Ce qui a alors commencĂ© comme un simple voyage en AmĂ©rique du Sud sâest finalement transformĂ© en une Ă©popĂ©e de deux ans jusquâĂ lâAlaska, sans itinĂ©raire prĂ©cis, mais avec un sac Ă dos bien rempli dâhistoires...
La Patagonie, royaume du vent et des étoiles
Tout a commencĂ© Ă l'extrĂȘme Sud du continent. UshuaĂŻa, fin du monde, dĂ©but du voyage. Le vent glacial de la Terre de Feu me fouettait le visage, mais chaque paysage balayait le moindre doute : jâĂ©tais exactement lĂ oĂč je devais ĂȘtre.

Je suis restĂ©e plusieurs semaines en Patagonie, Ă explorer ses sentiers dĂ©sertiques, camper au bord de ses lacs glaciaires en admirant les icebergs flotter paisiblement Ă la surface et dormir sous des ciels Ă©toilĂ©s qui semblaient infinis. Jâai appris Ă ralentir, Ă accepter lâimprĂ©vu. Dans cette rĂ©gion du monde, il nây a pas de demi-mesure. Le vent souffle sans relĂąche, les montagnes se dressent comme des murailles, et les nuits sont dâune intensitĂ© rare.
Une nuit, en campant prĂšs du glacier Perito Moreno, je pensais que le vent allait finir par emporter ma tente. Jâai passĂ© la moitiĂ© de la nuit dehors, en pleine tempĂȘte, Ă mâaccrocher aux arceaux pour empĂȘcher le tout de sâenvoler. Le lendemain matin, trempĂ©e mais vivante, jâai ouvert la tente sur un spectacle irrĂ©el : le soleil se levait derriĂšre le glacier, et tout scintillait sous une couche de givre. Câest ça, la Patagonie : chaque nuit est une aventure, chaque matin une rĂ©compense.
Ce sont ces moments, simples mais puissants, qui ont marqué le début de ma nouvelle vie nomade.
Les Andes péruviennes, souffle coupé et jambes en feu
AprĂšs plusieurs mois Ă avancer tranquillement vers le nord, je suis arrivĂ©e au PĂ©rou, prĂȘte Ă dĂ©fier les Andes. Ce pays mâa pris de court : des paysages grandioses Ă perte de vue, des montagnes Ă©crasantes et des treks qui mâont poussĂ©e dans mes retranchements. Le PĂ©rou, berceau de lâEmpire Inca, me transportait dans un autre temps, oĂč les montagnes Ă©taient sacrĂ©es et les traces de cette civilisation ancienne encore visibles partout. Les Incas avaient appris Ă vivre en harmonie avec cette nature brute, et je sentais que chaque pas sur cette terre Ă©tait une communion avec leur histoire.
Lorsque jâai enfin aperçu les ruines du Machu Picchu au sommet, enveloppĂ©es dans la brume du matin, un frisson mâa traversĂ©e. LĂ , jâĂ©tais face Ă lâune des plus grandes merveilles du monde, un tĂ©moin silencieux de lâingĂ©niositĂ© des Incas et de leur capacitĂ© Ă fusionner nature et culture dans un seul lieu magique.
Toujours en remontant vers le Nord, je suis arrivĂ©e Ă Huaraz, cette petite perle pĂ©ruvienne. Le lendemain j'entamais le trek de la CordillĂšre Huayhuash. Huit jours dâefforts intenses, Ă passer des cols Ă plus de 5 000 mĂštres d'altitude. Chaque montĂ©e me brĂ»lait les jambes, mais chaque sommet dĂ©voilait une nouvelle rĂ©compense : glaciers Ă©tincelants, lagunes turquoises et silence total. LĂ -haut, face Ă cette immensitĂ©, jâai compris que jâĂ©tais loin dâen avoir fini avec la route.

ParenthÚse caribéenne entre insouciance et engagement
LâAmĂ©rique centrale a Ă©tĂ© une parenthĂšse diffĂ©rente. AprĂšs plusieurs mois Ă vivre sur la route, jâavais envie de poser mon sac pour un temps dans un pays duquel j'Ă©tais tombĂ©e amoureuse quelques annĂ©es auparavant : le Costa Rica.
LĂ -bas je me suis laissĂ©e portĂ©e par le rythme des CaraĂŻbes. Les parties de beach-volley au coucher du soleil et les soirĂ©es sur la plage baignĂ©es par les sons de la mer semblaient suspendues dans le temps. Mais, Ă mesure que les jours passaient, je me suis retrouvĂ©e un peu perdue dans cette douce torpeur. Les nuits sâĂ©tiraient en conversations sans fin, bercĂ©es par la musique de groupes locaux et les rires de voyageurs venus de tous horizons. Le temps sâeffritait, lâĂ©nergie des lieux me happait, et il devenait difficile de savoir si je vivais rĂ©ellement dans le prĂ©sent ou si je me laissais simplement emporter par une vague de plaisirs immĂ©diats. Cette parenthĂšse caribĂ©enne, pleine de lĂ©gĂšretĂ©, mâa aussi forcĂ©e Ă un retour sur moi-mĂȘme, Ă chercher lâĂ©quilibre entre lâĂ©vasion et le sens de mon pĂ©riple.
Je me suis alors engagĂ©e dans plusieurs projets de volontariat. L'un deux consistait Ă Ćuvrer pour la protection des tortues marines sur la cĂŽte CaraĂŻbes. Le camp sur la plage, isolĂ© par la jungle d'un cĂŽtĂ© et la mer de l'autre. Pas dâĂ©lectricitĂ©, pas dâeau courante, juste quelques cabanes en bois, des hamacs et lâocĂ©an Ă perte de vue. Les nuits Ă©taient rythmĂ©es par les cris des singes hurleurs et le grondement des vagues. Ma mission : patrouiller sur la plage chaque nuit pour protĂ©ger les nids des prĂ©dateurs et des braconniers. La premiĂšre fois que jâai vu une tortue luth sortir de lâeau, jâen ai eu le souffle coupĂ©. Elle avançait lentement, traçant de profondes sillĂ©es dans le sable, avant de commencer Ă creuser son nid. Pendant prĂšs dâune heure, jâai assistĂ© Ă ce rituel millĂ©naire, Ă©clairĂ© uniquement par la lumiĂšre des Ă©toiles.

Ces expĂ©riences ont donnĂ© un autre sens Ă mon voyage. Je ne faisais plus que passer : je participais, je partageais. Jâai appris Ă cultiver des fruits tropicaux, Ă construire des abris Ă partir de rĂ©cupĂ©ration et Ă cuisiner des plats que je nâaurais jamais imaginĂ© aimer. Ce voyage qui Ă©tait simplement une exploration gĂ©ographique, se transformait doucement en redĂ©couverte intĂ©rieure.
J'ai ensuite continué ma route jusqu'au Canada en passant par le Nicaragua, le Guatemala, le Belize, le Mexique et la Californie.
Traversée du Canada à travers différents jobs saisonniers
Quand je suis arrivĂ©e au Canada, je ne savais pas trop combien de temps jâallais rester. Je me suis vite rendu compte quâil me faudrait travailler un peu pour financer la suite du voyage. Jâai enchaĂźnĂ© plusieurs boulots : aide dans un lodge de pĂȘche en Colombie-Britannique, serveuse dans un bar de motards et mĂȘme guide de chiens de traĂźneaux dans le Nord du pays.
En arrivant dans les Territoires du Nord-Ouest, j'ai plongĂ© dans l'immensitĂ© sauvage du Canada. LĂ , jâai travaillĂ© deux saisons en tant que guide d'activitĂ©s extĂ©rieures, une expĂ©rience qui mâa profondĂ©ment marquĂ©e. S'occuper d'une meute de huskies, chacun avec sa personnalitĂ© et son Ă©nergie dĂ©bordante, Ă©tait certes une premiĂšre pour moi ! Au fil du temps, je sentais un lien se crĂ©er entre les chiens et moi. Ils mâont appris Ă les Ă©couter et Ă comprendre leurs humeurs. Les tempĂ©ratures Ă©taient glaciales, frĂŽlant parfait les -50 degrĂ©s celsius. L'air glacĂ© mordait mes joues, mais il y avait quelque chose de magique dans cette immensitĂ© gelĂ©e. Voir ces huskies sâĂ©lancer Ă pleine vitesse, leurs oreilles battant au rythme de leurs pattes foulant la neige, câĂ©tait une sensation de libertĂ© pure. Je nâoublierai jamais ces moments oĂč jâĂ©tais seule avec eux, le soleil rasant l'horizon au loin et les cris des huskies brisant la quiĂ©tude de lâimmensitĂ©.

Ce fut aussi l'occasion de rencontrer le peuple Inuit qui vit dans ces rĂ©gions extrĂȘmes. Leur mode de vie, leur profonde connaissance du territoire et leur relation harmonieuse avec la nature mâont inspirĂ©e. Ils incarnent parfaitement la force tranquille de ceux qui vivent en harmonie avec leur environnement, malgrĂ© les dĂ©fis imposĂ©s par un climat si rude.
Ces pĂ©riodes de travail ont Ă©tĂ© lâoccasion de mâimmerger dans le quotidien local. Entre deux jobs, je continuait d'explorer le Canada Ă bord d'un van amĂ©nagĂ© que je m'Ă©tais dĂ©gotĂ© sur place. J'ai randonnĂ© dans les Rocheuses, parcouru l'Ăźle de Vancouver, et passĂ© des nuits Ă observer les aurores borĂ©ales dans le Grand Nord. Chaque jour, je me rapprochais un peu plus de lâAlaska, mĂȘme si ce nâĂ©tait pas une vĂ©ritable « destination ».
LâAlaska, la derniĂšre frontiĂšre
Et puis, un matin, jây Ă©tais. LâAlaska, la derniĂšre frontiĂšre. Cette terre immense, sauvage, hors du temps. LâarrivĂ©e a Ă©tĂ© moins un aboutissement quâune prise de conscience : ce voyage nâavait jamais Ă©tĂ© une question de destination. LâAlaska nâĂ©tait pas la fin, juste une nouvelle page.
Je me suis arrĂȘtĂ©e lĂ , le temps de souffler, de rĂ©flĂ©chir Ă ce que ces deux annĂ©es avaient changĂ© en moi. La jeune femme partie sans plan prĂ©cis avait grandi. Elle avait appris Ă faire confiance au chemin, Ă se laisser porter par lâinattendu et Ă apprĂ©cier les dĂ©tours.
Les premiĂšres nuits dans mon van, la pluie tambourinait sur le toit et le silence oppressant de la forĂȘt Ă©tait seulement rompu par les craquements inquiĂ©tants des branches. Chaque bruissement me faisait sursauter, persuadĂ©e quâun grizzly rodait autour du vĂ©hicule. Loin de la civilisation, je rĂ©alisais pleinement ce que signifiait ĂȘtre au cĆur de la nature brute, oĂč lâhomme nâest plus quâun simple invitĂ©. Peu Ă peu, jâai apprivoisĂ© cette solitude, et ces nuits sont devenues des moments dâĂ©coute et de contemplation.

Un jour, en suivant une riviĂšre, jâai Ă©tĂ© tĂ©moin dâun spectacle que seuls les documentaires animaliers semblaient pouvoir offrir : un grizzly en pleine chasse. PostĂ©e Ă une distance sĂ©curitaire, le souffle court, jâai regardĂ© cet immense prĂ©dateur plonger ses griffes dans lâeau tumultueuse et ressortir un saumon frĂ©tillant. En quelques secondes, la scĂšne sâest achevĂ©e dans un Ă©claboussement, et le festin a commencĂ©. La force brute de la nature dans sa plus simple expression.
Dans les fjords du sud, lâAlaska mâa aussi offert des instants de douceur. Lors dâune excursion en kayak, jâai croisĂ© le regard curieux de loutres de mer flottant sur le dos, se tenant par la patte comme pour ne pas se perdre dans les vagues. Elles mâont observĂ©e un instant avant de replonger sous lâeau avec une aisance dĂ©sarmante, disparaissant dans un ballet aquatique insouciant. CâĂ©tait un autre visage de cette terre sauvage : non plus celui de la rudesse, mais de la grĂące et de la lĂ©gĂšretĂ©.
LâAlaska nâĂ©tait pas une destination, mais une rĂ©vĂ©lation. Ce territoire mâa montrĂ© que lâinconnu, aussi intimidant soit-il, recĂšle des moments de pure magie pour ceux qui osent sây aventurer.
Des vents du sud aux lumiÚres du nord : une nouvelle vocation est née
Aujourdâhui, je regarde cette aventure avec le sourire. Deux ans sur la route, des milliers de kilomĂštres, et une traversĂ©e qui mâa menĂ©e jusquâen Alaska, bien plus loin que ce que jâaurais imaginĂ©. Elle n'a pas Ă©tĂ© parfaite, loin de lĂ . Mais elle Ă©tait vraie, honnĂȘte, pleine de rencontres et de moments suspendus.
Jâai maintenant pris une dĂ©cision : me rĂ©orienter professionnellement pour devenir guide dâexpĂ©dition Ă la journĂ©e en milieu polaire. Cette idĂ©e sâest imposĂ©e presque naturellement. Elle rĂ©unissait tout ce que jâavais dĂ©couvert sur moi-mĂȘme au cours de ces deux annĂ©es : mon amour pour les grands espaces, mon besoin de mouvement, ma capacitĂ© Ă mâadapter aux diffĂ©rents extrĂȘmes de la nature et Ă guider les autres dans ce type dâaventure.

Ce voyage a Ă©tĂ© la plus grande Ă©cole que jâaie jamais connue. Et je sais quâil nâest quâun dĂ©but...