Une année de voyage en solo - Mon ressenti
- Bianca Vagabonde
- 10 oct. 2023
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 9 juin

Je me remémore cette image, peut-être modeste, mais empreinte de significations profondes : assise sur un lit défait dans un dortoir d’auberge au Pérou. Mon sac traîne dans un coin, quelques affaires éparpillées autour de moi. Mes yeux sont fatigués. La chaleur envahit la petite pièce où cinq autres âmes vagabondes dormiront ce soir. On ressent le manque d'intimité et le vacarme des autres voyageurs qui emplit la pièce. Cette image n’a rien d’exotique. Pourtant, elle dit tout.
Elle dit la fatigue accumulée, les nuits sans repos, les matins où l’on se demande pourquoi on s’inflige cela. Elle dit l’envers du décor, celui que les photos Instagram oublient souvent : le manque de confort, l’envie furtive d’un chez-soi, la solitude même au milieu du monde. Et ce rideau tiré sur le lit, mince barrière entre soi et le tumulte, symbolise à lui seul toute la maigre intimité à laquelle on peut prétendre sur la route. Elle dit que le voyage, aussi magnifique soit-il, est parfois rude, exigeant, déroutant.
Et c’est avec cette image en tête que je choisis de revenir sur ces douze derniers mois. Un an d’errance, de rencontres, de joies intenses, mais aussi de doutes, de remises en question. Un an qui m’a transformée de l’intérieur.

Octobre 2023 - Un an après le départ
Ce soir, je n'ai pas de réseau. Je suis parquée au bord d’un lac isolé en pleine forêt canadienne, au bout d’une piste forestière que j’ai hésité à prendre. Le genre d’endroit que personne n’atteint par hasard. Le coin a l'air sauvage, propice à la présence de grizzlys. Enveloppée dans mon duvet à l'arrière de mon van, je garde un œil constant sur la rive du lac et je guette les bruits dehors comme si j’étais de passage sur une terre qui ne m’appartient pas.
Je me réchauffe deux parts de pizzas que je mange sur mon lit, accompagnée de mes pensées et de Dumpy, mon petit singe. Il ne me quitte plus depuis que Joe est parti. Son départ a laissé un vide et je commence à me fatiguer de ces au-revoir incessants qui ne laissent pas de place à des relations plus profondes.
La forêt commence à s'assombrir et le reflet des épicéas s'efface peu à peu sur la surface du lac. Ma lampe frontale diffuse une lumière tamisée qui danse sur les parois en bois à l'intérieur de mon véhicule. Le monde semble s’être rétréci à cet espace minuscule — et pourtant je me sens infiniment libre.
C’est là, dans cette bulle hors du temps, que j’écris ces lignes. Je ne les ai pas planifiées. Elles s’imposent d’elles-mêmes. J’ai besoin de faire le point, de poser des mots sur cette année si dense, si pleine. De me demander ce que ce voyage a changé en moi. Ce qu’il continue de transformer
Une année de route – ce que je retiens
Voilà plus d'un an que je suis partie de chez moi, pleine d'ambition avec mon sac et ma tente sur le dos. J'en ai parcouru des kilomètres depuis mon départ ; d'Ushuaïa en Argentine jusq'aux Grandes Rocheuses du Canada. J'ai vu et j'ai vécu l'Amérique. J'ai comme l'impression de m'être apprivoisée ce continent. J'ai appris à l'aimer sous toutes ses formes. J'ai dégusté les saveurs de la cuisine caribéenne, j'ai défié les sommets des Andes, j'ai cultivé mes connaissances sur les peuples indigènes de ses pays, j'ai adopté les expressions hispaniques de l'Amérique latine, je me suis laissée entraînée par les rythmes du reggaeton sur les plages de l'Amérique centrale, j'ai découvert la folie d'Hollywood, j'ai appris à vivre au cœur des montagnes canadiennes et à progresser au cœur de la jungle Amazonienne avec une machette à la main.
Mettre des mots sur ce que je ressens face à ce que j'ai vécu durant cette première année est un exercice difficile, mais important pour moi. Je souhaite partager mon ressenti avec ceux qui rêvent d'aventures, ceux qui ont vécu quelque chose de similaire et ceux qui n'ont pas encore osé sauter le pas. Je souhaite me remémorer chaque instant de ce périple ; ceux où je me suis sentie si privilégiée mais aussi ceux où je me suis maudite d'avoir pris la décision de partir. C'est souvent lors de ces derniers que j'ai appris le plus.

La solitude au cours de mon voyage
Petit à petit, j'apprends à apprécier la solitude. Malgré les innombrables rencontres qui s'enchaînent au fil des pays, peu sont celles qui me procurent la sensation d'être entourée. Ne vous méprenez pas, j'ai apprécié chacun de ces moments de partage avec autrui. Je me souviens de ce verre partagé avec un ancien vétéran dans un pub au Canada, de cette main tendue par un Dominicain lorsque j'étais en galère au Pérou ou encore de ce gamin avec qui j'ai travaillé et qui m'a touchée par son histoire au Costa Rica. Malheureusement, ces rencontres engendrées par le voyage, aussi fortes soient-elles, sont bien trop souvent suivies d'au-revoir, ironiquement eux aussi engendrées par le voyage lui-même. Il m'est tout de même arrivé de créer de belles amitiés sur mon chemin, souvent avec d'autres voyageurs avec qui j'ai partagé la même vision du monde et que je recroiserai au fil du chemin.
Pour la première fois depuis mon départ, je ressens aujourd'hui l'envie de rendre visite à ma famille et mes amis restés en France, de repasser du temps chez moi. Tout au long de mon périple j'ai eu la chance d'avoir la visite de plusieurs de mes proches. Ce fût des moments magiques qui m'ont fait beaucoup de bien. Parfois, il m'arrive de remettre en question mes choix en pensant à tous les moments que je rate avec eux au quotidien. Je me remémore alors la frustration que je ressentais en ayant les pieds liés dans un quotidien bien ancré, et je me souviens aussitôt que mon bonheur se trouve sur la route.

Canada : nouveau décor, nouveau rythme
Après huit mois à traverser l’Amérique latine du sud au nord, je suis arrivée au Canada avec un visa PVT en poche et une envie de me poser, au moins un instant. J’ai acheté un van, mon nouveau chez-moi sur roues, et me suis installée pour l’été dans un chalet isolé, au bord du lac Chaunigan. Là-bas, j’ai appris à me rendre utile : bricolage, entretien, jardinage, accueil des visiteurs.
Le décor a changé, le rythme aussi. Ici, la vie est plus calme, plus ancrée. J’ai commencé à ressentir quelque chose de rare dans le voyage : la stabilité. Et elle m’a fait du bien.
Une mue silencieuse
Ce voyage m’a changée. Pas dans les grands éclats spectaculaires qu’on s’imagine parfois, mais dans les nuances, dans les détails. Une façon de regarder les choses. Une capacité nouvelle à lâcher prise. Une confiance, surtout, en ma capacité à me débrouiller, à me reconstruire, à trouver ma place — où que je sois.
J’ai appris que le manque fait partie du voyage. Manque de sommeil, d’intimité, de repères, d’amour parfois. Mais j’ai aussi compris que ces manques creusent en nous des espaces neufs, prêts à accueillir autre chose. De l’élan. Du courage. Des rencontres inattendues.
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