top of page

Ce que la forêt m’a raconté chez les Tacanas en Amazonie Bolivienne

Dernière mise à jour : 6 juil.

Ce que la forêt m'a raconté chez les Tacanas en Amazonie bolivienne

Jour 1

Remontée du fleuve et premières rencontres avec les Tacanas en Amazonie bolivienne


J'ai quitté Rurrenabaque au petit matin, à l’heure où les rues sont encore fraîches de la nuit, mais déjà chargées d’humidité. Ce petit village est la porte d'entrée vers le Parc National Madidi, où vit la communauté indigène des Tacanas en Amazonie bolivienne. Nos regards encore engourdis, nous faisons connaissance avec les autres participants de cette petite expédition en pleine forêt. Nous arrivons sur la rive du fleuve, où une longue pirogue en bois nous attendait, moteur prêt, les sacs entassés entre les bancs de bois. Jose-Luis, notre guide tacana, est monté à l’avant. Il avait ce genre de calme qui semble venir d’une vie entière passée à écouter la forêt.


Le fleuve Beni s’est ouvert devant nous, large et opaque, bordé d’arbres immenses dont les racines semblaient mordre directement dans l’eau. Pendant des heures, nous avons remonté le fil de l’eau. La rivière sinueuse coupait la forêt comme une entaille lente. À mesure que nous avancions, la jungle se refermait. Plus verte, plus dense, plus vivante.


Navigation en pirogue sur le fleuve Béni pour aller à la rencontre des Tacanas en Amazonie bolivienne

Au bout de deux heures, Jose-Luis fait signe de s’arrêter. Sur la rive, une maison de bois sur pilotis, posée entre les arbres comme si elle avait toujours été là. Une famille nous accueille avec de brefs sourires, curieux mais habitués à voir passer des voyageurs.


Rencontre avec une famille Tacana en Amazonie bolivienne

Ici, tout au long du fleuve, de petites communautés vivent en bordure de jungle, souvent loin des routes et des cartes. La plupart sont issues de peuples indigènes comme les Tacanas, les Esse Ejja ou les Tsimanés, dont les savoir-faire se transmettent encore aujourd'hui, par la pêche, la culture ou la transformation des plantes.


Cette famille cultivait la canne à sucre, qu’elle transformait elle-même à l’aide d’une presse traditionnelle en bois, actionnée à la force des bras. Le jus, sombre et tiède, coulait lentement dans une bassine cabossée. On a goûté avec les doigts, un peu surpris par cette douceur âpre, pleine de terre. Les enfants riaient de nous voir grimacer.


Presse canne à sucre Amazonie bolivienne

C’était une courte halte, mais elle donnait déjà un aperçu de ce que serait notre séjour : une immersion dans un monde directement connecté avec la forêt.



Arrivée au campement


Un peu plus loin, le bateau ralentit. Nous accostons sur la rive, sans embarcadère cette fois, juste un tronc posé en travers de la berge pour éviter de glisser. De là, il nous restait une trentaine de minutes de marche à travers la forêt, sacs sur le dos et bidons d’eau en main, pour atteindre le campement.


Arrivée en Pirogue au campement en Amazonie bolivienne

Le sentier était étroit, parfois à peine visible entre les racines et les feuilles tombées. On progressait en file indienne, chacun chargé de quelques kilos : des provisions, de l’eau potable, quelques ustensiles. Il faisait lourd. Le soleil filtrait entre les branches et chauffait les épaules, sans vraiment sécher l’air, resté saturé d’humidité depuis le matin.


La jungle nous entourait, abondante mais calme. Des troncs étaient couverts de mousse, des cris d’oiseaux retentissaient dans la canopée et des insectes tourbillonnaient dans tous les interstices. Mantas portait l'eau, concentré et discret. José ouvrait la marche, imperturbable. Il connaissait chaque virage, chaque tronc à contourner.



Le campement se fondait dans le paysage


Quelques cabanes posées entre les troncs, des hamacs qui balançaient doucement, une cuisine ouverte d’où s’échappait l’odeur du riz et du feu de bois. Les enfants couraient pieds nus dans les feuilles sèches tandis que la femme de notre hôte surveillait les casseroles. C’était chez eux. Chez les Tacanas. Une vie en pleine jungle.


Campement / Lodge Tacanas en Amazonie bolivienne


Le dunucuabi, plat traditionnel tacana


L’odeur du feu de bois flottait déjà autour du campement quand nous avons posé nos sacs. La femme de Jose-Luis, était accroupie près du feu, en train de préparer le dunucuabi, un plat traditionnel tacana à base de poisson. Elle enroulait les morceaux de poisson marinés dans de grandes feuilles de patujú, accompagnés de piment, d'ail et d'oignon, puis les posait directement sur une grille au-dessus du feu. La braise était bien entretenue, la chaleur constante. Elle retournait chaque paquet avec soin, attentive à la cuisson. Le parfum était puissant : un mélange de fumée, d’aromates et de feuille chaude.


Cuisine traditionnelle Amazonie bolivienne

Quelques minutes plus tard, elle nous a servis chacun notre tour. Le poisson, une fois la feuille dépliée, était tendre, juteux et légèrement relevé. On l'a mangé avec du riz, à même les assiettes en métal, posés sur de longs bancs en bois à l'extérieur. Mantas semblait impressionné, tout comme moi. C’était notre premier repas tacana, et déjà une porte d’entrée vers un rapport à la forêt qui passe d’abord par la cuisine.



Autour du feu, la mémoire d’un peuple


Après le dîner, le soir est vite tombé, comme il le fait toujours ici. La lumière s’est retirée derrière les arbres, et en quelques minutes, il ne restait plus que le feu pour dessiner les contours du monde. l’air s’était un peu rafraîchi et était devenu plus respirable. Les insectes, eux, ne faisaient pas de pause. Jose-Luis s’est assis en tailleur, une tasse de café fumant dans les mains. Sa femme l’a rejoint un peu plus tard, les bras croisés sur ses genoux. Ils ont échangé quelques mots en tacana, une langue indigène encore parlée dans plusieurs communautés de la Bolivie. Mantas et moi n’avons rien compris, bien sûr, mais on sentait dans leur échange la complicité de ceux qui partagent une langue qu’on n’apprend pas dans les livres.


C’est Mantas qui a posé la première question. Il voulait savoir si la famille vivait ici toute l'année, au beau milieu de la forêt. José a hoché la tête. Oui, toute l’année. Ses parents avant lui. Et ses grands-parents aussi. Mais avant, a-t-il expliqué, les Tacanas étaient nomades. Ils suivaient les saisons, les cycles de la chasse, les fruits qui mûrissent et les rivières qui changent de visage. La forêt dictait le rythme. Leurs territoires s’étendaient entre les eaux du Beni, du Tuichi et du Madre de Dios, jusqu’aux confins du Pérou et du Brésil.


Il a ainsi parlé de l'histoire de son peuple, de la forêt, des plantes qu’il connaît depuis l’enfance, du goût du chocolat amer qu’ils échangeaient autrefois contre du tissu venu des Andes. Il nous raconte que ses ancêtres avaient résisté à l’Empire Inca, non pas par la guerre, mais grâce à la jungle elle-même. Trop dense, trop imprévisible. Même les Espagnols, lancés à la recherche d’El Dorado, durent composer avec eux. Les Tacanas choisirent la paix à travers le commerce du chocolat plutôt que la soumission. Sa femme écoutait et ajouta quelques mots sur les années d'exploitation du caoutchouc, les pillages qui s'en suivirent et les terres arrachées. Puis celles qu’ils avaient réussi à récupérer.


Ils ont finalement expliqué que les choses avaient changé. Qu’il fallait aujourd’hui trouver d’autres moyens pour faire vivre la communauté. Le lodge, l’accueil de voyageurs, les excursions dans la forêt… tout cela faisait partie d’un nouvel équilibre.


Le feu s’est éteint lentement, et chacun est allé se coucher. Cette nuit-là, j’ai dormi dans une cabane de bois, sous une moustiquaire blanche qui flottait comme un voile. Les sons de la jungle formaient une symphonie sans pause : bruissements, cris d’oiseaux, craquements lointains. Je ne dormais pas vraiment. J’écoutais. J’attendais peut-être que quelque chose m’atteigne, sans savoir quoi. La forêt me parlait déjà.


Chambre entourée par des moustiquaires en pleine forêt amazonienne

Jour 2

Matinée en forêt


Le lendemain matin, la forêt suintait encore la nuit quand nous nous sommes mis en marche. L’air était dense, chargé d’humidité, et chaque pas réveillait l’odeur de terre chaude. Nous avancions sur un sentier étroit, les bras parfois levés pour éviter les feuilles coupantes. Le sol, détrempé par les pluies de la veille, nous faisait glisser par moments.


José Luis ouvrait la marche, machette en main, avec l’assurance tranquille de quelqu’un qui connaît les humeurs du terrain. Il ne disait pas grand-chose, mais montrait sans cesse. Une liane à couper pour boire. Une écorce à mâcher contre les piqûres. Une racine que les singes grattent pour en extraire l’eau. Un nid de fourmis qu’on évite, sauf en cas de fièvre.


Liane qui coupe la soif, un savoir ancestral des Tacanas en Amazonie bolivienne

La forêt ne se raconte pas facilement. Elle se traverse, elle se lit par fragments, elle s’impose. Rien n’est droit. Tout grimpe, s’entrelace, s’écoule. Des cris brefs jaillissent parfois des branches, suivis d’un silence plein. Des gouttes tombent sans pluie. La lumière filtre sans jamais inonder.


Nous nous sommes arrêtés devant un fromager monumental. Son tronc était si large qu’on aurait pu y abriter la moitié du groupe. José a posé la main contre l’écorce comme on salue un visage connu. Il a dit que les arbres anciens protègent les chemins. Qu’on les écoute. Qu’on les consulte, parfois.


Liane en Amazonie bolivienne
Fabrication artisanale d'un tir à l'arc


Atelier artisanal à partir des matériaux de la jungle


Dans l’après-midi, la pluie est revenue. José nous a alors proposé de nous installer sous l’auvent de la cuisine, à l’abri de l’eau, pour un atelier de fabrication de bijoux. Il est arrivé avec un sac rempli de petits trésors : graines aux formes variées, coquillages, fibres végétales tressées, morceaux de bois taillés à la main. Tout venait de la forêt, récolté ici, préparé avec soin.


On s’est assis sur le plancher encore un peu humide et il nous a montré comment chauffer une aiguille dans les braises pour percer les graines sans les fendre. Comment faire glisser le fil, nouer sans tirer, équilibrer les couleurs et les textures. Il n’y avait pas de patron. Chaque bijou se créait au fil des doigts, de l’intuition, du contact avec la matière.


Fabrication artisanale de bijoux composés de ressources de la forêt amazonienne

Au rythme des gouttes, l’atelier a pris forme. Il fallait être patient. Certaines graines roulaient, d’autres se fendaient. Mais peu à peu, le fil se tendait, les formes se répondaient. Jose-Luis observait nos gestes et intervenait quand il le fallait. J’ai terminé un collier un peu irrégulier avec pour pièce centrale une belle graines brune. Rien d’extraordinaire, mais tout venait d’ici. C’était un objet façonné avec ce que la forêt offre et ce qu’un habitant de cette forêt a bien voulu transmettre. Je ne le savais pas encore, mais cette graine restera attachée autour de mon cou pendant les trois prochaines années et m'accompagnera jusqu'en Alaska!



Ce que l’obscurité révèle


La pluie s’est arrêtée en fin d’après-midi, laissant derrière elle un air plus frais et une forêt trempée, plus bruyante encore. Jose-Luis nous a proposé une marche de nuit en forêt le long d'une rivière étroite. Nous avons attendu que l’obscurité tombe complètement avant de partir, lampes frontales vissées sur le front.


La lumière se rétrécissait à un cercle tremblant devant nos pieds. Le reste était obscur, opaque, rempli de bruissements. Les sons semblaient plus proches, plus insistants. On marchait en file, sans parler, chacun absorbé par ce qu’il voyait — ou croyait voir.


Le faisceau de ma lampe glissait sur les troncs, les feuilles mouillées, parfois sur un insecte énorme, immobile au bord du chemin. José repérait des détails invisibles pour nous : une grenouille collée à une branche, une araignée camouflée sous l’écorce, un minuscule serpent lové dans une anfractuosité. On avançait doucement, les sens en alerte.


Il nous a demandé d’éteindre nos lampes. Juste un moment.


Alors tout s’est brouillé. Il ne restait que les sons : les cliquetis, les froissements, les battements d’ailes soudains. Le chant régulier des grenouilles. La rumeur de la rivière. Mon corps ne bougeait plus, mais tout en moi était en éveil. Je n’avais jamais aussi bien entendu la forêt. Elle respirait.


Quand nous avons rallumé, le monde a repris sa forme. Plus loin, José nous a montré un terrier de tarentules, creusé juste au bord du sentier. Il a éclairé l’entrée d’un faisceau rapide. On a vu les pattes, sombres, épaisses, repliées juste sous la surface. Il a passé le pas sans hésiter. Nous avons enjambé à notre tour, plus lentement, concentrés sur l’équilibre.


Terrier de tarentules

En arrivant près de la rivière, j’ai vu deux yeux rouges briller de l’autre côté. Fixes. À peine séparés.

— Crocodile, a dit notre guide en baissant la voix. Il n’y avait rien à faire, juste regarder. Il ne bougeait pas. Mais il était là, bien là. Cette lueur dans le noir, c’était lui. Je n’ai pas eu peur au sens classique du terme mais j’ai senti quelque chose de primal, un rappel immédiat que la nuit ici n’est jamais vide. Elle observe. Elle attend.


Le retour s’est fait plus vite. Au camp, le feu brûlait encore et le café était prêt. Chacun savait que cette marche resterait marquée en nous. Cette nuit-là, j’ai eu du mal à m’endormir. Pas à cause du bruit, ni même des bêtes. Mais parce que je savais maintenant ce qui vivait tout près, dans l’ombre.



Jour 3

Pêche au piranha


Pour notre dernier matin en forêt, Jose-Luis nous a proposé une activité faisant partie intégrante de la culture tacana : la pêche au piranha. Depuis des générations, la pêche fait partie du quotidien ici. Les Tacanas, installés au bord des rivières, ont toujours su lire l’eau, reconnaître les courants, fabriquer leurs outils à partir de ce que la forêt leur offre.


Nous avons préparé nos cannes à pêche en copiant les techniques de notre guide. Il nous a montré comment tailler un morceau de bambou, attacher la ficelle et fixer un petit hameçon. Le matériel était simple, mais tout venait d’un savoir ancien et façonné avec la forêt.


Nous avons suivi un sentier jusqu’à un bras tranquille de la rivière. C’était l’un de ceux que Jose-Luis avait lui-même tracés autour du lodge, à force de passages répétés et de repérages au fil des saisons. Il connaissait les bons endroits — ceux que les poissons fréquentent à certaines heures, selon la lumière, la température, le bruit. Nous avons lancé nos lignes à l'eau et attendu. Les piranhas sont rapides, mais méfiants. La pêche demandait de la précision, de la patience, et un peu de chance. J’ai fini par remonter un premier piranha, surpris par sa petite taille et ses dents bien aiguisées. José l’a décroché d’un geste sûr. Mantas en a sorti deux. Et voilà que notre déjeuner était garanti.


De retour au camp, tout s’est mis en place naturellement. La cuisson au feu de bois, le manioc pelé, le poisson nettoyé. Chacun savait ce qu’il avait à faire, sans consigne. Cette coordination presque instinctive faisait partie du savoir-faire. Le poisson a été grillé à même la grille, assaisonné de sel et de citron sauvage.


Piranha grillé


À ceux qui m’ont accueillie


Ce que la communauté tacana m’a transmis tient dans des gestes simples : une graine qu’on perce, un poisson qu’on prépare, un sentier qu’on entretient. Des gestes qui ont traversé les générations et qui, ici, sont encore vivants. Je repars avec le souvenir d’un accueil vrai, sans fioritures. Et avec un peu de leur savoir à garder en moi, en silence.


Je remercie profondément José, sa famille, et la communauté tacana pour leur accueil, leur patience, et tout ce qu’ils m’ont transmis. C’est une expérience que je garde précieusement et qui me suivra longtemps.

Comments


Instagram

De la passagère à celle qui reste - ma redéfinition du voyage
DERNIER

article

DERNIÈRE

vidéo

Noix de coco
scotch
  • Gris Icône Instagram
  • Gris Facebook Icône
  • Gris Icône YouTube
  • Gris LinkedIn Icône
Logo Bianca Vagabonde blanc

Rejoins plus de 2000 autres lecteurs et reçois toutes mes astuces en voyage !

Copyright © 2025 - Bianca Vagabonde. Tous droits réservés.

bottom of page